Améliorer les conditions de travail des éleveurs laitiers : l’innovation technologique à l’appui de la soutenabilité du métier
La pénibilité du métier d’éleveur peut-être un frein à la pérennité de la filière laitière. Face à ce constat, il est impératif de travailler à l’amélioration des conditions de travail sur les fermes, notamment via des solutions innovantes. Nombreux sont les éleveurs qui s’appuient aujourd’hui sur la technologie dans leurs tâches quotidiennes pour exercer leur métier en préservant leur santé. C’est le cas d’Emmanuelle Gravier et Dominique Dengreville, tous deux éleveurs de vaches laitières dans les Hauts-de-France. Le CNIEL a recueilli leur témoignage lors du LFDay, organisé par la Ferme Digitale le 14 juin dernier : deux retours d’expérience qui permettent de montrer qu’une meilleure qualité de vie des éleveurs est indissociable, avec le bien-être des vaches aujourd’hui au cœur des préoccupations sociétales.
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La technologie au service du bien-être de l’éleveur
Bien qu’ils aient opté pour des solutions différentes, se sont les raisons de santé qui ont poussé Emmanuelle Gravier et Dominique Dengreville à se tourner vers la technologie : « Les éleveurs développent très fréquemment des douleurs à l’épaule après des années d’exercice ; c’est un métier usant physiquement », explique Dominique Dengreville. Pour pallier ses douleurs, cet agriculteur d’une ferme en polyculture élevage laitier de 300 hectares près d’Abbeville s’est équipé de robots de traite pour son troupeau de 175 vaches. Depuis douze ans, ses vaches ont la liberté de se faire traire quand elles le souhaitent, en moyenne deux à trois fois par jour. « Au moment de l’investissement, il y a forcément la crainte de devoir apprendre une autre façon de faire ou de ne pas maîtriser complètement le robot, reconnaît l’éleveur, mais au bout d’un mois environ, je l’avais pris en main. La machine fonctionne vraiment comme un trayeur lambda : elle repère la mamelle, la nettoie et branche les quatre manchons pour tirer le lait. »
Installée à Béthunes, elle aussi en polyculture élevage sur une ferme de 175 hectares et 65 vaches, Emmanuelle Gravier a choisi d’investir dans un exosquelette spécifique à la traite, après avoir déclaré une tendinopathie à caractère invalidante des deux épaules il y a trois ans. Positionné à la façon d’un gros sac à dos, cet outil très facile d’utilisation permet d’accompagner le mouvement des bras pendant la traite grâce à deux lames carbones fixées par des ressorts.« Mon exosquelette soulage considérablement mes efforts. Aujourd’hui, je serais incapable de traire mes vaches sans lui. C’est vraiment grâce à cet outil que j’ai pu continuer mon métier », témoigne l’éleveuse.
Car face à leurs problèmes de santé, changer de métier, ni Dominique Dengreville, ni Emmanuelle Gravier ne l’ont envisagé. Emmanuelle explique : « Quand j’ai découvert ma tendinopathie, la sécurité sociale agricole m’a suggéré de me réorienter, mais c’était impensable pour moi. J’avais un besoin viscéral de continuer à exercer ». Et Dominique de compléter : « L’élevage est un métier de passionné. Un troupeau, ça se construit toute la vie, c’est une fierté. On ne se voit pas l’abandonner, quelle qu’en soit la raison ».
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Des innovations où l’humain reste central, et qui favorisent le bien-être animal
Les deux éleveurs s’accordent sur un point : la technologie est aujourd’hui un atout majeur pour veiller à la santé et au bien-être de leur troupeau.« En plus d’effectuer la traite, le robot nous fournit des informations précieuses sur nos animaux, précise Dominique Dengreville : il mesure en permanence plusieurs indicateurs comme la qualité du lait, le cycle de reproduction, la rumination, etc., ce qui nous permet de repérer beaucoup plus facilement ceux qui demandent une attention particulière ». De son côté, Emmanuelle Gravier a aussi recours à des colliers connectés, qui l’alertent dès qu’une vache ne s’alimente pas par exemple. « Cela me permet de cibler rapidement un animal qui rencontrerait un problème et de poser un diagnostic dans la journée ».
Mais qu’on ne s’y trompe pas : le fait de déléguer certaines tâches à des machines ne diminue en rien le rôle de l’éleveur, et la part d’humain reste centrale dans l’élevage. Pour Emmanuelle, qui effectue elle-même la traite deux fois par jour et voit donc passer quotidiennement l’ensemble de son troupeau, cela relève de l’évidence. Mais c’est également le cas pour Dominique, qui résume : « La technologie nous apporte beaucoup d’informations mais l’œil et la réactivité de l’éleveur restent indispensables. L’outil a simplement renforcé notre capacité à agir vite, et nous a aussi permis d’éliminer certaines erreurs humaine ».
Face à une demande croissante de la société sur la question du bien-être animal, il est plus que jamais nécessaire pour la filière laitière, d’une part, de démontrer la totale compatibilité de ces innovations avec le bien-être des vaches, et d’autre part, la préservation de la santé des éleveurs. Caroline Le Poultier, Directrice Générale du CNIEL, appuie : « Concilier le bien-être de l’animal et le bien-être de l’éleveur est un enjeu clé pour notre filière. Nous avons entamé le dialogue avec les ONG et les pouvoirs publics sur la question du bien-être animal il y a trois ans, afin de mieux comprendre les attentes exprimées, mais aussi de mieux faire comprendre la réalité de nos métiers. Ces échanges et ces expérimentations ont été enrichissants en termes de compréhension mutuelle. Au CNIEL, nous sommes convaincus que c’est la meilleure voie pour sortir des clichés et progresser ensemble ».
« L’élevage est un métier de passionné. Un troupeau, ça se construit toute la vie, c’est une fierté. On ne se voit pas l’abandonner, quelle qu’en soit la raison » Dominique Dengreville, éleveur laitier
Le digital, facteur d’attractivité pour les nouvelles générations ?
Comme beaucoup de secteurs de l’économie française, la filière laitière est confrontée à un manque d’attractivité, qui s’explique en partie par la pénibilité des conditions de travail des éleveurs. Un enjeu crucial dont le CNIEL s’empare dans le cadre de sa démarche de responsabilité sociétale, comme l’explique Caroline Le Poultier : « La question de l’attractivité de nos métiers est clé pour construire une filière performante et durable. Notre défi est de travailler à des solutions macroéconomiques, qui apporteront en même temps une réponse aux problématiques individuelles de chaque ferme ». Pour Dominique Dengreville comme pour Emmanuelle Gravier, la technologie est un atout non négligeable pour attirer des jeunes. Dominique a par exemple constaté que ses robots l’aidaient à recruter, des femmes notamment, attirées par des conditions de travail moins physiques qu’auparavant. « Le digital est un facteur d’attractivité essentiel pour les jeunes générations. Tous les pans de la société se numérisent et il est normal que la filière fasse de même », martèle-t-il. De son côté, Emmanuelle est d’autant plus confrontée à la problématique du recrutement qu’aucun de ses enfants ne reprendra l’activité à son départ en retraite. Elle confie : « Mon souhait est de pouvoir transmettre mon outil de travail à un jeune qui voudrait s’installer sur ma ferme, dans un bassin de population extrêmement porteur, avec beaucoup de possibilités de transformations ». Exosquelette, robot de traite… Ces solutions technologiques, adaptables aux compétences de chacun et aux différentes typologies d’exploitations, permettent aux nouvelles générations de se projeter dans une activité d’élevage sans y sacrifier leur santé.« De quoi rebooster l’attractivité de cette filière très gratifiante au demeurant », se réjouit Caroline Le Poultier, qui souligne les multiples problématiques territoriales, humaines et animales auxquelles le métier permet de toucher. Certes, l’investissement financier reste conséquent pour l’éleveur – environ 5 000 euros pour un simple exosquelette, entre 120 et 140 000 euros pour un robot de traite pour 60 vaches – et même si les bénéfices tirés permettent d’en amortir le coût facilement, les deux éleveurs regrettent que ces technologies préventives soient encore trop peu remboursées par la sécurité sociale. « L’exosquelette devrait être recommandé à tous les éleveurs de manière préventive, avant que ne surviennent les problèmes de santé liés au métier », plaide en effet Emmanuelle Gravier. Des progrès restent à faire, donc, pour mieux reconnaître la pénibilité du métier et renforcer la soutenabilité de la filière laitière. Le développement d’innovations technologiques est une première étape.