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Vaches en stabulation s'alimentant

Produire un lait durable : la ferme qui associe cultures et élevage, ça change la donne !

Souvent limitée à l’empreinte carbone, la question du lait durable est au cœur des enjeux de la filière laitière. Pour Alexis et Delphine, agriculteurs depuis plus de dix-huit ans dans le Loir-et-Cher, les produits laitiers durables répondent à plusieurs facteurs : cultiver la terre pour nourrir les bêtes de façon vertueuse, maintenir la solidarité entre les éleveurs au sein du bassin laitier et dégager une marge suffisante pour une production viable. Reportage au sein d’une ferme qui prône la polyculture élevage.
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Produire du lait dans une démarche raisonnée, durable. C’est le projet d’Alexis et Delphine, installés dans le Loir-et-Cher. A seulement une vingtaine de minutes de la gare TGV Vendôme, la ferme compte 160 hectares de culture consacrés à l’alimentation des vaches et à la vente. Blé, maïs pour l’ensilage, orge d’hiver, tournesol, luzerne, sarrasin ou encore méteil… les variétés semées sont nombreuses. Elles forment le socle d’un sol riche, richesse renforcée par la rotation des cultures. Les bâtiments d’élevage se situent au cœur de l’exploitation, entourés des champs de culture.
Le sol, trait d’union entre les cultures et le troupeau
« On s’est rencontré avec Delphine lors de notre formation d’ingénieur en agriculture », partage avec le sourire Alexis. Gérer une exploitation agricole n’est pas tous les jours facile. Il y a la loi des séries, à certains moments des vêlages plus difficiles : il faut être bien accroché ! C’est plus simple à deux. Nous avons fait le choix de cette vie ensemble. » Installés depuis 2004 au sein de cette ferme, ils n’avaient aucune attache avec la région. La beauté du paysage vallonné et le côté relativement isolé de la ferme ont conquis le couple pour voir grandir leurs trois enfants et gérer à deux l’exploitation. « Nous sommes polyvalents ! », confirme Delphine qui partage jongler entre les champs et les bêtes au cours de sa journée. Pourtant le décalage était grand avec leur précédente expérience à Lille. Au sein du Loir-et-Cher, les éleveurs de vaches laitières se font rares : « Nous sommes peu nombreux mais nous sommes très solidaires, s’enthousiasme Alexis. Nous avons notamment mis en place une Cuma (Coopérative d’Utilisation de Matériels Agricoles) pour mutualiser l’achat de matériels de haute qualité et ainsi en réduire le coût pour chacun. » Dans ce paysage, l’exploitation d’Alexis et Delphine dénote par son parti pris : la polyculture élevage alliant culture des plantes et élevage laitier. Par cette approche, le couple respecte plusieurs préceptes : ne pas labourer le sol et renforcer sa richesse naturelle en assurant une rotation des plantations, favoriser le pâturage, utiliser les rejets naturels des bêtes comme engrais. « En ne labourant pas nous laissons l’écosystème naturel de la terre agir, explique Delphine. Les vers de terre ont une fonction clé dans ce processus. Ils viennent à la surface récupérer les nutriments pour les emmener en profondeur dans la terre. Ils assurent ainsi une double fonction : renforcer la qualité du sol et réaliser une aération du terrain grâce à la création de galeries. Cela se voit lors de nos tests. Le sol est plus friable et le nombre de vers de terre est toujours plus grand. Le résultat est là. » Pour protéger le sol de chaque parcelle entre deux cultures, Delphine et Alexis réalisent « un couvert végétal » : « Nous ne laissons jamais la terre nue afin de la préserver. » Ce respect de la terre, propre à l’approche paysanne, est essentiel pour Alexis.
Alexis DescampsNous sommes heureux de partager cette conception d’une agriculture durable. Bien sûr chaque terrain, chaque troupeau, a ses propres forces et ses propres difficultés. L’exploitation de la terre ne peut pas être identique partout !
L’alimentation des vaches, facteur clé du lait durable
Les récoltes sont consommées en grande partie par le cheptel laitier. A quelques exceptions près comme le tourteau de colza ou la pulpe de betterave, plus de 90% de l’alimentation des bêtes est issue des champs et de la ferme. Pour le couple, une production laitière durable doit être une production essentiellement récoltée à la ferme ou achetée en local. « Alexis et Delphine n’appliquent pas une recette, partage Benoît Rouillé, ingénieur en recherche et développement au sein de l’Institut de l’élevage (IDELE). Ils réalisent une stratégie basée sur la réactivité. Ils adaptent leurs cultures en fonction des opportunités saisonnières, pratiquent des couverts végétaux naturels. Leur exploitation joue sur la complémentarité entre le végétal et l’animal. »  Grâce à la Cuma, et à ses 17 autres fermes d’exploitation laitière, le couple a pu mutualiser l’installation d’une station de méthanisation par un groupe d’éleveurs ou une petite région agricole (Perche Vendômois). « Le fumier est ainsi brulé à 40° pour capter le gaz et en faire de l’énergie, explique Delphine. Le résidu est homogène. Les mauvaises herbes ont été détruites. Il reste seulement une matière organique qui sera redistribuée dans les champs pour augmenter leurs rendements. »

La ferme assure chaque année une production de 870 000 litres de lait avec 95 vaches de race. Le lait est vendu à la laiterie Bel à 100 km. La consommation de soja est exclue de l’alimentation des vaches par choix. Deux robots, postes automatisés de traite, libèrent Alexis et Delphine du rendez-vous biquotidien. La Cuma emploie également un salarié dont le travail quotidien consiste à distribuer chaque jour les rations alimentaires dans les élevage.

Pour Delphine, cette organisation mêlant robotique, mutualisation des ressources et entraide est la clé du fonctionnement de son exploitation : « Le temps gagné sur une traite classique est consacré au suivi individuel de chaque animal, souligne l’éleveuse. Nous avons plus de temps pour identifier les bêtes en difficulté, celles qui présentent des fragilités ou qui ont besoin d’un suivi plus soutenu. »
Alexis DeschampsLa ration d’une vache laitière©Marylène Benzamat
La fin de la compétition entre végétal et animal ?
En moyenne chaque vache consomme environ 70 kg de végétaux (fourrages et autres aliments) par jour.  « Certains considèrent que la consommation de la production végétale par l’animal est contre-productive, relève Benoit Rouillé. Or une étude que nous avons réalisée récemment permet d’affirmer une conclusion vertueuse car 89% des protéines végétales ingérées par les animaux ne sont pas consommables par les humains. Il faut également savoir que pour produire 1 kg de protéine animale consommable par l’Homme il faut produire 5 kg de protéines végétales. La production de protéines végétales est donc indispensable pour maintenir la production de protéines animales telles que celles contenues dans les produits laitiers. ». L’IDELE retient ainsi cinq critères clés pour caractériser la durabilité d’une ferme laitière :  le respect du bien-être animal, de l’environnement, une occupation du sol justement répartie, une production rémunératrice pour les éleveurs et l’absence de compétition alimentaire avec l’Homme. La ferme d’Alexis et Delphine démontre la faisabilité de cet objectif. « Nous sommes très heureux de partager cette conception d’une agriculture durable. Bien sûr chaque terrain, chaque troupeau, a ses propres forces et ses propres difficultés. L’exploitation de la terre ne peut pas être identique partout ! », souligne Alexis. Si la ligne directrice est clairement tracée, le cas par cas sera toujours nécessaire pour les éleveurs laitiers qui souhaiteront l’emprunter.

Date de publication: 09/12/2021

Date de modification: 14/04/2022

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