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Nourrir les populations de la planète, le défi du siècle ?

Dans un monde où la population est en croissance exponentielle inédite et doit faire face au changement climatique, comment nourrir en quantité et en qualité tous les humains de la planète aujourd’hui et demain ? À l’occasion d’une table-ronde aux Rencontres Économiques d’Aix-en-Provence, le CNIEL a échangé avec la Banque Mondiale, le Groupe Bel, Elior Group et illycaffè, sur les défis à relever et les changements à impulser à tous les niveaux du secteur alimentaire dans ce contexte incertain.
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Un enjeu démographique et sanitaire

La planète compte 7,8 milliards d’habitants, en 2030, elle en comptera 8,5 milliards et probablement 9,7[1] en 2050[2]. La population mondiale est en forte croissance, qui plus est de façon hétérogène car si l’Afrique et l’Asie du Sud-Est devraient connaître un boom démographique, certaines régions comme l’Amérique du Nord et l’Europe subiront plutôt  un vieillissement de leur population. « Face à cet enjeu démographique, notre capacité à nourrir l’ensemble de la planète s’annonce comme l’un des plus grands défis à relever pour les décennies à venir », avertit Philippe Tillous Borde, Président de NumAlim – Plateforme Numérique de l’Alimentation. Un défi d’autant plus élevé que l’insécurité alimentaire et la malnutrition connaissent aussi une hausse importante, dans toutes les régions du globe. L’ONU dénombre en effet 828 millions de personnes touchées par la faim dans le monde en 2021, soit 5% de plus qu’en 2020[3]. Quant à l’obésité, elle concerne plus d’1 milliard de personnes sur Terre, selon les chiffres de l’OMS[4].

L’alimentation de la population en quantité disponible et de qualité nutritionnelle est donc un enjeu sanitaire majeur. Globalisation des marchés et tensions géopolitiques mondiales ne font qu’aggraver les grandes inégalités entre pays riches et pays pauvres en la matière. Les populations vivant dans des zones géographiques dépendantes sur le plan alimentaire ont ainsi plus pâti que les autres de l’inflation des prix des matières premières, conséquence du conflit russo-ukrainien. C’est le cas par exemple en Afrique du Nord – en Égypte et en Tunisie notamment –, où l’augmentation drastique du prix des engrais à l’import a mis à mal de nombreux agriculteurs.

L’alimentation face au dérèglement climatique

Affaiblies par la guerre en Ukraine, les économies agricoles de la planète doivent faire face à l’enjeu structurel que représente le changement climatique. Andrea Illy, Président d’Illycaffè, dresse notamment un constat alarmant pour l’industrie du café, qui subit de plein fouet les variations climatiques : « La culture du café telle qu’elle existe aujourd’hui n’est pas capable de résister à la sécheresse, aux fortes chaleurs ou à l’intensité anormale des pluies. Si la tendance se poursuit, 50% des terrains cultivables pour le café ne le seront plus en 2050. »

Mais comme tous les secteurs, l’agriculture doit aussi mettre en œuvre sa décarbonation. « Prise au sens large, c’est-à-dire de la production jusqu’à la consommation, l’alimentation est responsable d’un tiers des émissions carbone globales, soit plus que l’ensemble des transports réunis ! », rappelle en effet Cécile Béliot, Directrice Générale du Groupe Bel. Si elle subit en première ligne des dérèglements climatiques, l’agriculture impacte l’environnement et a un rôle à jouer dans la lutte contre le réchauffement de la planète.
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Un manque d’attrait des jeunes générations pour les métiers agricoles

Produire plus et de façon plus soutenable pour pouvoir nourrir, sur le long terme, l’ensemble de la planète : cet enjeu de taille est inévitablement lié au renforcement des filières agricoles et de leurs ressources humaines, pourtant en baisse d’attractivité. Caroline Le Poultier, Directrice Générale du CNIEL, tire en effet la sonnette d’alarme sur la situation en France : « Les capacités de production existent aujourd’hui, mais encore faut-il pouvoir les maintenir. Dans la filière laitière, 50% des chefs d’exploitation seront prochainement à renouveler, 15% des emplois industriels sont non pourvus… La démographie de nos producteurs est déclinante et la difficulté de leurs conditions de travail est en partie responsable ». Aux défis démographique, sanitaire et climatique s’ajoute donc celui du bien-être au travail des acteurs de l’alimentation de bout en bout de la chaîne, essentiel pour motiver des vocations et garantir la pérennité des filières.

Changer les pratiques agricoles pour davantage de résilience

Pour relever le défi climatique, le secteur de l’alimentation au sens large et l’agriculture en particulier doivent impérativement se réinventer pour trouver un modèle de développement vertueux, plus respectueux de l’environnement. « Un sol sain favorise la présence d’un microbiome et la captation de carbone, rappelle Cécile Béliot. C’est pourquoi nous devons abandonner les pratiques d’agriculture intensive, qui appauvrissent le sol, et passer à une agriculture régénérative ». Un propos notamment appuyé par Andrea Illy, qui promeut une approche circulaire de la décarbonation visant à compenser, au stade de la production agricole, les émissions de carbone non réductibles au stade industriel de la chaîne. Pour ce faire, la FAO encourage les techniques d’agroécologie, qui permettent de réintroduire de la diversité dans les systèmes de production et d’améliorer leur performance environnementale sans sacrifier leur performance économique.

Mais ce changement, pour être global, ne peut être qu’accompagné, sans laisser de côté les zones les plus pauvres. Hafez Ghanem, Vice-Président pour l’Afrique de l’Est et australe de la Banque Mondiale, insiste sur ce point : « Il est primordial d’investir dans le Sud et en Afrique pour donner aux producteurs les moyens financiers et technologiques de modifier leurs pratiques et rendre l’agriculture de ces régions plus résiliente face au changement climatique ».

Soutenir les métiers agricoles

Les producteurs sont en effet l’un des leviers clés de cette transformation des modes de production. C’est dans l’optique de les sensibiliser à ces enjeux et de les engager dans une démarche collective de progrès pour la durabilité du secteur que le CNIEL a lancé, il y a plus de dix ans, le programme « Ferme Laitière Bas Carbone », qui fournit aux éleveurs de la filière laitière un diagnostic environnement de référence commun qui leur permet de mesurer les émissions carbone de leur ferme laitière. Celui-ci leur permet d’identifier les marges de progrès les plus adaptées à leur situation et leur territoire.
Cette amélioration de l’information et des outils destinés aux agriculteurs doit également s’accompagner de meilleures conditions de travail. « L’évolution des pratiques ne se fera pas sans une plus juste rémunération et une plus grande reconnaissance de ces métiers », ajoute la Directrice Générale du Groupe Bel. « Valoriser ces métiers est essentiel pour renforcer leur attractivité et recruter de nouveaux talents », insiste Caroline Le Poultier. Le CNIEL s’appuie d’ailleurs régulièrement sur des influenceurs pour donner de la visibilité au métier d’éleveur, via des opérations qui font se rencontrer des publics qui se connaissent mal autour de métiers de l’élevage laitier et les pratiques des éleveurs.

Améliorer l’étiquetage pour une consommation responsable

Mais une alimentation saine et durable coûte aussi plus cher. Pour que les consommateurs sautent le pas, il est donc essentiel, d’une part de les sensibiliser aux bonnes pratiques, et d’autre part de leur fournir les informations qui leur permettront de prendre des décisions éclairées. À cet égard, comme le soulignent de concert Philippe Tillous Borde et Cécile Béliot, la data est un levier clé : les consommateurs doivent pouvoir accéder facilement à des données fiabilisées sur l’alimentation, et les industriels développer des campagnes personnalisées encourageant une consommation responsable d’un point de vue nutritionnel et environnemental.

Innover… collectivement

La transition relève de la responsabilité de tous les acteurs et ne pourra pas se faire sans une action commune des producteurs, des consommateurs, des distributeurs et des pouvoirs publics. « Tous nos métiers peuvent être le fer de lance d’initiatives garantes d’une alimentation sociale et responsable, mais seul, notre impact ne sera pas suffisant », insiste Bernard Gault, PDG du groupe de restauration collective Elior. Tisser des partenariats et miser sur le triptyque public-privé-associatif sont des conditions essentielles pour impulser et accélérer le changement. « L’organisation en filière est en ce sens un atout, complète Caroline Le Poultier ; elle facilite les échanges entre tous les maillons de la chaîne et l’action concertée, en dialogue sociétal avec les différentes parties prenantes, notamment les ONG. ».

À la croisée d’enjeux démographiques, sanitaires, écologiques et économiques, le défi alimentaire auquel la planète fait face aujourd’hui doit pousser les filières agricoles à renforcer leur résilience en impliquant toutes leurs parties prenantes. Mais des solutions restent bien sûr à trouver pour pouvoir nourrir, demain, toutes les populations de la planète en quantité et de façon qualitative. Comment alors faire avancer l’innovation et les pratiques pour résoudre ce qui s’annonce effectivement comme le défi du XXIème siècle ? Dans ce combat, producteurs, distributeurs, consommateurs, acteurs publics, nous avons tous notre part à jouer.

[1] https://www.un.org/fr/global-issues/population#:~:text=Selon%20les%20projections%2C%20la%20population,individus%20vers%20l’an%202100.
[2] https://www.un.org/fr/global-issues/population#:~:text=Selon%20les%20projections%2C%20la%20population,individus%20vers%20l’an%202100.
[3] https://fr.wfp.org/communiques-de-presse/dapres-un-rapport-de-lonu-la-faim-dans-le-monde-progresse-et-pourrait-avoir
[4] https://news.un.org/fr/story/2022/03/1115672 

Date de publication : 03/08/2022

Date de modification : 31/07/2024

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