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Yves Garenne : « L’ISO 26000 ne sert à rien si on n’a pas envie de changer le monde »

Premier standard international en matière de RSE, la norme ISO 26000 est un outil précieux pour aider les organisations à progresser en continu dans leur démarche de responsabilité sociétale. A l’occasion de la sortie du rapport de responsabilité sociétale France Terre de Lait 2021, Yves Garenne, ingénieur conseil en responsabilité sociétale et évaluateur pour l’Afnor, revient sur la labellisation « Engagé RSE » qui salue les efforts de la filière laitière française. Entretien.
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Que signifie, pour une interprofession, être labellisée « Engagé RSE » selon la norme ISO 26 000 de l’Afnor ?
Yves Garenne – C’est une nouveauté dans le paysage de la normalisation. Jusqu’à récemment, on accompagnait et labellisait plutôt des entreprises et des collectivités. Depuis 2-3 ans, des interprofessions et des filières ont commencé à solliciter une évaluation pour savoir où elles en étaient en termes de maturité sur les sujets de responsabilité sociétale.

Le déclic s’est fait lors des États généraux de l’alimentation de 2017, à l’issue desquels a été votée la loi EGalim[1] : les attendus des plans de filière mis en place par l’État étant alignés sur le référentiel de la norme ISO 26000, les interprofessions se sont emparées de l’outil. Le Cniel s’est montré particulièrement volontariste en la matière, désireux de se montrer irréprochable.

Pour une organisation de ce type, être estampillé « Engagé RSE » reste avant tout exploratoire : ce label étant inconnu du grand public, il n’a pas de valeur ajoutée immédiate mais constitue un baromètre intéressant pour savoir où en est une filière, et comment elle peut progresser.

[1] Loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous.
Quels sont les points forts de la démarche RSE déployée par la filière laitière ?
Y.G. – Une première batterie de critères de labellisation tourne autour de la gouvernance. Pour le cas du Cniel, il s’agit de savoir si la filière laitière a une stratégie RSE à long terme, et comment elle intègre cette stratégie nationale au sein de l’interprofession, comment elle la décline concrètement dans des stratégies régionales locales auprès de chacun des acteurs de la filière, aussi bien des syndicats professionnels, des petits producteurs que des acteurs industriels majeurs. De ce point de vue, il faut saluer la démarche ambitieuse du Cniel, servie par des personnes extrêmement compétentes, et l’ingéniosité de ses outils de pilotage, car organiser une filière aussi complexe, de taille européenne et ancrée dans une histoire particulièrement riche, n’a rien d’évident.

Il y a aussi, au cœur de l’ISO 26 000, tout ce qui a trait à l’information et la relation client, ainsi qu’à la sécurité sanitaire. C’est là que le Cniel a la meilleure note, car c’est la clé du succès dans l’agroalimentaire : si vous n’êtes pas irréprochables en la matière, vous n’existez plus. La filière laitière est particulièrement performante dans la recherche et l’innovation.

Une autre batterie de critères est liée à la protection de l’environnement, aux pratiques bas carbone, à la gestion des ressources, de l’énergie, de l’eau, des déchets. Sur ce volet également, le Cniel a de très bons résultats, la filière sait où elle va. Elle est particulièrement innovante sur la maîtrise de l’impact carbone, avec notamment un programme pour aider les producteurs fragiles économiquement à mieux gérer leur ferme. Même sur les OGM, elle est sur la bonne voie.

L’évaluation s’intéresse aussi au dialogue mis en place avec les parties prenantes. Le dialogue interne au sein de la filière laitière fonctionne bien, car c’est la raison d’être d’une interprofession de faire dialoguer les gens entre eux. Vis-à-vis des parties prenantes externes, un des gros atouts du Cniel est son historique : la filière a tissé un réseau de connexions extrêmement solide en mettant en place un réseau national, international et européen qui lui permet de mieux comprendre ses enjeux vus de l’extérieur. Vis-à-vis des ONG, la filière laitière est également proactive : elle n’hésite pas à affronter les sujets. Là où des progrès restent à accomplir, c’est sur le dialogue avec les associations de consommateurs : étant essentiellement mise au défi sur des enjeux sociétaux peu compris par le consommateur lambda, la filière n’en avait pas fait jusque-là sa priorité.
Sur quels autres volets de la RSE la filière laitière peut-elle encore mieux faire ?
Y.G. – Un des points d’amélioration reste le volet social de la responsabilité sociétale, qui a trait aux ressources humaines – c’est d’ailleurs souvent le volet le plus méconnu du développement durable, que beaucoup envisagent seulement du point de vue de l’environnement. La création d’emplois, le respect de l’égalité femme-homme, la lutte contre la discrimination, sont des thématiques qui ne relèvent pas du champ d’action d’une interprofession, mais sont portées par les acteurs sur le terrain. Ce qui est complexe à gérer pour le Cniel car la filière laitière comprend des structures très hétérogènes, entre les acteurs de taille multinationale qui ont déjà leur politique RH et une majorité de petits producteurs qui n’ont souvent pas les moyens d’avoir une politique ambitieuse : les pratiques en matière de formation, de qualité de vie et de bien-être au travail, de dialogue social y sont extrêmement diversifiées, avec des niveaux de maturité très différents. Seule la thématique de la santé sécurité, qui relève de la responsabilité de l’employeur, est plutôt bien portée. Sur le reste, la filière laitière manque encore d’une politique sociale globale.

La rémunération des producteurs est une question particulièrement urgente à résoudre. Conscient qu’il est très attendu sur ce sujet, le Cniel a pris le taureau par les cornes en mettant en place un outil unique d’évaluation du coût de production chez les éleveurs laitiers. Maintenant, il faut aller plus loin et penser une vraie stratégie de répartition des richesses au sein de la filière.

Un autre point d’amélioration concerne la politique d’achat et d’export responsable. Le Cniel a déjà fait beaucoup d’efforts pour mobiliser tous les acteurs de la filière afin d’améliorer la transparence tout au long de la chaîne agroalimentaire, mais il reste encore du travail.

Enfin, l’ancrage territorial peut encore être renforcé. Par là, il s’agit de travailler à développer les territoires dans lesquels la filière laitière est implantée, d’y créer de l’emploi direct et indirect, d’accompagner les jeunes agriculteurs, contribuer à la formation continue, faire du mécénat, du sponsoring, etc. Pour l’instant, ces sujets assez complexes sont traités par les comités régionaux du Cniel, qui font d’ailleurs du bon travail, mais il manque sans doute une politique générale à l’interprofession.
France Terre de Lait a reçu le label « engagé RSE » niveau 3 confirmé. À quoi ce niveau correspond-il, et comment passer maintenant au niveau supérieur ?
Y.G. – Le label Afnor comporte 4 niveaux : 1 correspond à une organisation qui découvre la RSE, et 4 à un niveau de maturité exemplaire. Le niveau 3 distingue une politique RSE déjà robuste, ayant suffisamment d’expérience pour avoir d’assez bons résultats.

Après, l’effort pour passer au niveau supérieur n’est pas linéaire mais exponentiel : pour passer du niveau 1 au 2 il faut un effort de 1, pour passer du 2 au 3 il faut un effort de 5, et pour passer du niveau 3 au 4 il faut un effort de 20. Rien que pour se consolider dans le niveau 3, il faudra sans doute encore au Cniel 2-3 ans de travail, ne serait-ce que pour bien faire comprendre à tous les acteurs que le développement durable ne se réduit pas à l’environnement mais couvre 17 objectifs, selon l’Agenda 2030, et que les défis à relever sont d’une grande complexité. Mais on sent une vraie volonté politique d’aller dans ce sens.

J’aime à dire que la norme l’ISO 26000 ne sert à rien si on n’a pas l’envie de changer le monde, si on n’a pas l’ambition d’un travail de long terme pour répondre aux enjeux du bien-être au travail, de l’émancipation des femmes, de l’intégration des handicaps, ou encore de la lutte contre la corruption – autant de sujets sur lesquels il y a tant de choses à découvrir et à inventer. J’ai le sentiment que le Cniel a sincèrement la volonté d’emmener la filière laitière sur cette voie.

Le label « Engagé RSE » et la norme ISO 26 000

Créé en 2003 par l’Afnor, qui lançait alors un des tout premiers labels mondiaux sur la thématique de la responsabilité sociétale, le label « Engagé RSE » est le plus ancien des deux outils. Son vocabulaire a par la suite été adapté au référentiel de la norme internationale ISO 26 000, née en 2010 afin de fournir aux organisations les lignes directrices de la responsabilité sociétale.

Yves Garenne,

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Ingénieur conseil en responsabilité sociétale, Yves Garenne travaille depuis 35 ans au service de diverses organisations telles que l’Afnor, l’Union Européenne ou encore le Conseil régional de Nouvelle Aquitaine, sur des thématiques d’évaluation ou de labellisation.
Agréé par l’Afnor, il a audité le Cniel et sa démarche de responsabilité sociétale France Terre de Lait à l’aune de la norme ISO 26 000 et lui a décerné le label « Engagé RSE » niveau 3 confirmé, avant de lui remettre un rapport avec 80 recommandations pour continuer sur sa trajectoire de progrès. Agréé par l’Afnor,

Date de publication : 05/01/2022

Date de modification : 31/07/2024

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