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Laiterie Comté

Pierre Barrucand : « Il existe encore un gros potentiel de valorisation de l’eau disponible dans les laiteries »

Alors que le Ministère de l’Agriculture a lancé le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique, la gestion durable de l’eau est au cœur de toutes les préoccupations dans le secteur de l’agri-agro. Pierre Barrucand, responsable Environnement chez Atla et expert en charge du programme AQUAREL (programme sur les technologies d’économies et de réutilisation de l’eau dans la transformation du lait), revient sur cet enjeu crucial pour l’aval de la filière laitière.
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À quels défis particuliers la filière laitière doit-elle répondre en matière de gestion de l’eau ?
Pierre Barrucand – Toute la filière est concernée par la nécessité de préserver cette ressource. Dans l’amont, l’enjeu concerne avant tout les irrigations des cultures qui vont servir à nourrir les animaux, ainsi que l’abreuvement des bêtes : ces usages importants sont soumis à des aléas de plus en plus fréquents, liés aux conséquences du changement climatique.
Dans les activités de transformation laitière en aval, l’utilisation de l’eau est surtout liée à la nécessité de nettoyer les installations, afin d’atteindre le niveau de qualité irréprochable exigé pour des produits laitiers sains et sans danger. Cette exigence implique des consommations d’eau significatives. Or la ressource n’est pas automatiquement disponible : un site qui utilise de l’eau est soumis à des autorisations, à la fois pour la prélever en milieu naturel par forage ou s’alimenter via les réseaux de distribution collective – ce qui répond à des règles définies par les autorités en région, qui sont plus strictes à certaines période de l’année, en contexte de sécheresse notamment –, et pour rejeter l’eau utilisée et épurée – 80 % des sites laitiers ont leur propre station d’épuration ou une station de prétraitement des eaux. Ces contraintes impactent directement l’activité économique des sites, d’où l’intérêt d’optimiser la gestion de la ressource pour moins en dépendre.
En quoi le programme AQUAREL, réalisé par le centre technique Actalia pour le Cniel, en partenariat avec les agences de l’eau, peut-il aider la filière à répondre à ces défis ?
P.B. – Ce programme, qui a audité une soixantaine de sites industriels laitiers, avait pour objectif d’identifier, d’une part, les économies d’eau à la source et la possibilité de réutiliser l’eau sur les sites de transformation du lait, et d’autre part les traitements applicables aux effluents des laiteries pour réduire leur impact sur le milieu. Les enseignements que nous en avons tirés sont précieux.
D’abord, il faut savoir que la filière laitière a une particularité par rapport aux autres filières : elle génère de l’eau. Le lait contient en effet plus de 85 % d’eau : en fonction des fabrications (fromage, beurre ou poudre), il va être plus ou moins concentré, ce qui demande d’extraire l’eau contenue dans la matière première. AQUAREL a permis de calculer que ce gisement est impressionnant : 16 millions de mètres cube d’eau sont ainsi produits chaque année dans les laiteries.
Or cette eau disponible est encore actuellement sous-valorisée. Généralement, on en utilise un peu pour laver l’extérieur des camions de collecte ou alimenter les chaudières, mais les quantités concernées sont bien en-deçà de ce qui pourrait être réutilisé sur site. Et pourtant le programme nous a permis d’identifier des techniques de traitement qui permettent de donner à l’eau extraite du lait une qualité équivalente, parfois même supérieure à celle de l’eau potable. Toute l’idée d’AQUAREL a donc été de mettre en regard de la cartographie de l’eau issue du lait disponible, une cartographie des techniques de traitement mises en œuvre sur certains sites industriels laitiers, pour en favoriser la réutilisation.
Quelles bonnes pratiques avez-vous identifiées ?
P.B. – Une technique très importante concerne le nettoyage des installations. Il y a trois étapes dans ce process : on commence par un prélavage à l’eau des tuyaux dans lesquels le lait est passé ; ensuite on fait un lavage en circuit fermé avec des solutions d’acide et de soude ; enfin on effectue un rinçage final avec de l’eau potable en grande quantité. Une bonne pratique, déjà bien adoptée dans le secteur, est d’utiliser l’eau issue de rinçage final (qui contient un peu de désinfectant) pour prélaver les systèmes, ce qui permet d’éviter de prélever de l’eau en milieu naturel ou dans les réseaux de distribution.
Une autre solution est de favoriser les circuits fermés de refroidissement, au lieu de rejeter en milieu naturel l’eau froide qui circule dans les appareils afin de les refroidir, comme on le faisait par le passé.
Au-delà des techniques, la formation du personnel est essentielle pour garantir cette gestion optimale de l’eau. Il s’agit à la fois d’apprendre à maîtriser les systèmes internes de suivi des consommations d’eau, et de savoir recourir aux bonnes pratiques – par exemple, lors des nettoyages manuels, utiliser un pistolet au bout de son tuyau pour couper plus rapidement l’arrivée d’eau.
Le Cniel s’était engagé, dans son plan de filière 2017, à accompagner la mise en œuvre d’ici 5 ans des recommandations issues du programme AQUAREL dans les laiteries. Cet objectif est-il en passe d’être atteint ?
P. B. – Il faut dire déjà que la filière laitière est plutôt en avance, d’un point de vue technique, sur les autres filières. Je le vois actuellement dans le cadre du programme MINIMO, qui se veut la suite d’AQUAREL et concerne cette fois 5 filières : en comparaison avec la filière du vin, ou celle des plats cuisinés, la filière laitière a beaucoup moins à apprendre. Aussi, dès qu’elles ont été connues, toutes les bonnes pratiques de gestion, de traitement et de réutilisation de l’eau se sont rapidement propagées dans l’aval de la filière laitière. En 10 ans, on a beaucoup progressé, puisque les volumes d’eau nécessaires ont déjà été réduits de 20 %. Les entreprises sont conscientes que les investissements ne sont pas vains : entre devoir couper l’eau sur son site de fabrication un jour ou deux par semaine et payer l’eau plus cher (au sens qu’une eau réutilisée a un coût technique, qui s’ajoute à celui de l’eau prélevée en milieu naturel ou dans les réseaux de distribution), les choix se font assez rapidement.
Mais il existe encore un gros potentiel de valorisation de l’eau disponible dans les laiteries, qui pour le moment est bloqué par un frein réglementaire. Si l’on veut aujourd’hui faire un grand saut en avant, tel que réduire encore de 25 % la consommation d’eau des sites de transformation, il faudrait être autorisé en France à faire la même chose que nos voisins anglais, néerlandais ou belges, à savoir réutiliser l’eau issue du lait dans les opérations de rinçage. Mais les discussions engagées par le Cniel avec les pouvoirs publics avancent plutôt bien : ces derniers sont à l’écoute des recommandations de la filière sur les niveaux de qualité à exiger pour l’eau traitée, nous attendons maintenant la fin de l’année pour voir si les paroles se concrétiseront en projet.
En quoi le Varenne agricole peut-il permettre d’accélérer le passage à l’action ?
P. B. – Ce Varenne se veut un incubateur d’idées, pour trouver des solutions à tous les verrous qui peuvent encore exister au niveau des différents maillons de la chaîne alimentaire. Cette initiative gouvernementale reste centrée sur la partie agricole et amont des filières. Les pistes évoquées n’en sont pas moins très intéressantes. Des expérimentations par exemple ont été menées au niveau européen pour réutiliser l’eau issue des stations d’épuration des sites de transformation, afin d’irriguer les terres agricoles situées à proximité ; il est question de les déployer en France.
Une autre approche d’économie circulaire autour de ces stations d’épuration, qui n’a pas été identifiée dans le contexte du Varenne mais fait aussi complètement sens, est d’épandre dans les champs les boues produites par les bactéries naturelles présentes dans ces stations, afin de fertiliser naturellement le sol.
Quels que soient les projets sur lesquels débouche le Varenne, la prise de conscience est là : tous les acteurs de la filière laitière française travaillent à poursuivre les efforts entrepris, tant pour optimiser l’usage de l’eau qu’améliorer sa qualité. Il n’y a pas de raison que les pouvoirs publics n’aident pas à progresser encore.

Pierre Barrucand,

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Pierre Barrucand est Responsable Environnement chez ATLA, association de la transformation laitière française, et expert en charge du programme AQUAREL sur les technologies d’économies et de réutilisation de l’eau dans la transformation du lait.

Date de publication: 24/09/2021

Date de modification: 14/02/2022

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