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Cantal après affinage

Yves Soulhol : « La RSE, nous en faisons depuis 60 ans sans le dire »

Avec le plan France Relance mis en place par le gouvernement après le début de la crise sanitaire, plusieurs acteurs de la filière laitière ont eu accès à des accompagnements ou financements. L’objectif : engager une relance durable de l’économie en agissant à la fois pour la transition écologique, la compétitivité des entreprises et la cohésion des territoires.  Située dans l’Aubrac, la Coopérative Fromagère Jeune Montagne fait ainsi partie des 39 nouveaux lauréats sélectionnés dans le cadre d’un appel à projets dédié à la structuration des filières agricoles et agroalimentaires. Entretien avec Yves Soulhol, directeur général de la coopérative qui, depuis plus de 60 ans, perpétue un savoir-faire unique grâce à une agriculture équitable et solidaire.
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Pouvez-vous nous présenter Jeune Montagne ?
Yves Soulhol – La Coopérative fromagère Jeune Montagne a été fondée en 1960 pour perpétuer la fabrication des spécialités fromagères au lait cru de l’Aubrac. Chaque année, notre équipe de 150 salariés collecte auprès de 90 fermes 22 millions de litres d’un lait de grande qualité, grâce à la richesse des herbages du terroir, pour fabriquer des produits « premium » : du fromage AOP Laguiole, une petite partie du Cantal AOP et des plats cuisinés dont notamment l’aligot, fait à base de pommes de terre et de tomme fraîche de l’Aubrac.
En quoi votre projet « Filière Laitière Aubrac », retenu par le plan de relance, répond-il à un enjeu de pérennisation ?
Y.S. – Pour une petite coopérative comme la nôtre, dont l’outil de transformation est limité, les excédents de lait sont rédhibitoires : s’il fallait mettre ce lait non valorisé sur le marché, le prix de vente serait décevant. C’est parce que nous parvenons à transformer tout le lait collecté et à en faire des produits de qualité que nous arrivons à verser aux producteurs un prix moyen de 560 € la tonne, ce qui est un bon prix. Tout notre schéma de production est conçu pour que nous ayons le minimum d’excédents, afin de maintenir ces conditions de rémunération.

Le fait est qu’aujourd’hui, nos adhérents nous demandent de collecter 15 % de lait supplémentaire pour se développer et améliorer leurs revenus. Ceci impose de repenser notre fonctionnement, d’agrandir nos ateliers, de moderniser notre outil de transformation coopératif, mais aussi d’accompagner les producteurs dans une augmentation de production qui respecte notre exigeant cahier des charges, afin de garantir la qualité qui fait la valeur  ajoutée de nos produits laitiers.

Nous avons donc saisi cette opportunité pour concevoir un projet global de développement, qui permette de réaffirmer la communauté de destins qui s’est construite sur le plateau de l’Aubrac : les producteurs laitiers comptent sur notre coopérative pour valoriser leurs produits, autant que Jeune Montagne a besoin des producteurs pour pérenniser son activité et faire vivre ses salariés.
En fait, la RSE, nous en faisons chez Jeune Montagne depuis 60 ans sans le dire : nous sommes attachés au respect du travail du producteur, à la qualité de vie au travail, au bien-être animal qui est indissociable de la qualité de nos produits.
En quoi ce projet correspond-il aux cahiers des charges à la fois du plan de relance et du plan de filière France Terre de Lait ?
Y. S. – Déjà, nos travaux de modernisation vont permettre d’améliorer les conditions de travail de nos salariés, puisque le nouvel atelier de fabrication de plats cuisinés que nous avons construit est plus grand et conçu selon le principe de marche en avant[1], afin de gagner à la fois en productivité, en sécurité et en qualité produit. Cet atelier aura quatre niveaux de production : trois pour l’aligot (contre deux jusqu’à présent) et un quatrième plus adapté aux petites séries, ce qui permettra d’augmenter la production d’aligot et de concevoir de nouveaux produits en collectant 20 % de lait supplémentaire d’ici 2025.

Pour accompagner nos adhérents, nous avons aussi noué des partenariats avec les structures qui nous environnent, et font elles aussi partie de cette communauté de destins que nous partageons sur le plateau de l’Aubrac.

Nous travaillons avec les chambres d’agriculture des trois départements sur lesquels se répartit notre territoire (Cantal, Lozère, Aveyron), afin d’aider les producteurs à se développer tout en continuant à respecter notre cahier des charges de production au sein de la zone AOP. Car le non recours au fourrage humide, la limitation de la production annuelle à 6 000 litres par vache et par hectare pour respecter le bien-être animal, ou encore la délimitation de la zone de collecte constituent de réelles exigences.

Nous entendons aussi assurer la continuité des exploitations grâce à des partenariats avec le lycée agricole de Lozère, qui fait partie de nos adhérents, ainsi qu’avec le lycée agricole de La Roque : nous intervenons en cours, recevons des stagiaires, etc.

Enfin, nous faisons fonctionner un groupement d’employeurs pour permettre à nos producteurs de prendre des congés et se faire remplacer en cas d’aléa, notamment de maladie, grâce à 7 salariés mis à leur disposition à un prix attractif (la coopérative prend en charge environ la moitié du coût de la journée de travail).

En fait, la RSE, nous en faisons chez Jeune Montagne depuis 60 ans sans le dire : nous sommes attachés au respect du travail du producteur, à la qualité de vie au travail, au bien-être animal qui est indissociable de la qualité de nos produits… Il faut simplement que nous le fassions un peu mieux valoir, et c’est le sens du slogan : « Si tu ne me crois pas, viens me voir ! ».

[1] Le principe de marche en avant est la mise en place d’une démarche qualitative de l’hygiène, avec pour principe de base que les produits sains ne doivent pas croiser le chemin des produits souillés.
Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de candidater au plan de relance ? Le site mis en place par le Cniel pour en faire bénéficier les acteurs de la filière laitière y a-t-il contribué ?
Y. S. – Nous avons candidaté par nos propres moyens, mais ce guichet mis en place par le Cniel, qui recense toutes les aides possibles, nous a clairement aidés à obtenir des informations. Nous avons de même été encouragés par l’ensemble de nos élus locaux et leurs services.
À quelles conditions, selon vous, la filière laitière de montagne peut-elle aujourd’hui survivre ?
Y. S. – C’est vrai qu’elle est en situation délicate car elle ne réunit pas les conditions de productivité qui lui permettraient de concourir face à d’autres régions du monde plus adaptées à la production de lait, ayant l’eau et la température adéquates pour faire pousser de l’herbe en quantité beaucoup plus importante.

À mon humble avis, il faut donc que les filières laitières de montagne s’accrochent à des produits de qualité et identifiés : on ne peut pas faire de l’AOP Laguiole à Singapour ni en Nouvelle-Zélande ! Il y a une vraie attente, chez nos consommateurs, pour des produits qui valorisent mieux le lait, à condition que les saveurs soient réelles et identifiables. Ceux-ci sont également sensibles à ce que nous apportons à nos territoires. Je suis enfin convaincu qu’un cahier des charges devient un « cahier des ressources » quand il est ambitieux et respecté. C’est, selon moi, sur ces points que les acteurs du lait de montagne doivent se concentrer pour améliorer les valorisations.

Mais attention aux appellations carte postale. La qualité d’un produit ne réside pas d’abord dans le marketing mais dans ses propriétés intrinsèques, les saveurs, les plaisirs qui lui sont associés et qui sont le fruit de ce cahier des charges et d’une transformation ancestrale exigeante. J’ai l’habitude de dire : il faut faire et faire savoir, toujours dans ce sens et jamais dans l’autre.

La seconde condition à la survie de la filière laitière de montagne, c’est la capacité à résister au changement climatique. Les sécheresses en montagne sont toujours plus violentes qu’en bord de mer. Il va donc falloir à l’avenir, trouver des méthodes culturales pour s’adapter tout en gardant la naturalité de l’alimentation des animaux. Dans l’Aubrac, nous avons la chance d’avoir un foin de qualité, qui nécessite de faire peu appel à des compléments pour équilibrer nos rations ; mais cette qualité demande du travail, notamment beaucoup de séchage en grange, de façon à récolter le foin au meilleur stade, chargé en protéines. Comme notre territoire s’étend à la fois sur des zones d’altitude et des parcelles de coteaux, nous essayons aussi, chaque fois que possible, de produire un complément céréalier adapté à notre cahier des charges.
La coopérative est-elle selon vous un modèle d’avenir pour la filière laitière, voire pour l’agriculture française ?
Y. S. – Une coopérative est d’abord une entreprise : si elle n’est pas rentable, elle n’a pas d’avenir. Mais c’est en effet un modèle intéressant dans la mesure où il préserve les intérêts du producteur, qui est lui-même adhérant et porte du capital. Cela permet d’empêcher les délocalisations car les coopératives se trouvent sur les lieux où se produisent les matières premières. Dans ce sens, elles contribuent au maintien des tissus économique, agricole et agroalimentaire. Elles permettent une saine concurrence favorable aux consommateurs.
Sur un territoire hyper délimité comme le nôtre, avec des produits AOP et des cahiers des charges exigeants, c’est un très beau modèle. C’est une communauté de destins.

Yves Soulhol,

Directeur de la coopérative Jeune Montagne

Yves Soulhol est directeur de la coopérative fromagère Jeune Montagne depuis 2018. La coopérative, fondée en 1960 sous l’impulsion d’un groupe de jeunes producteurs de lait, perpétue la fabrication des spécialités fromagères de l’Aubrac au lait cru dont le Laguiole AOP et l’Aligot de l’Aubrac.

Date de publication: 10/12/2021

Date de modification: 14/04/2022

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