Tous unis pour préserver les montagnes, ces terres de lait
Mardi 5 octobre 2021, s’est tenu à Clermont-Ferrand le Sommet annuel de l’Élevage. L’occasion pour Jean-Pierre Vigier, co-rapporteur de la mission d’information parlementaire sur la production laitière (hors AOP) en zone de montagne,d’échanger avec les acteurs de la filière laitière, ainsi que des élus locaux et nationaux, autourdes13 mesures à mettre en œuvre collectivement afin de pérenniser un territoire essentiel en voiede fragilisation. Retour sur les interventions marquantes de la table ronde organisée sur ce thème.
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Montagnes, des terres de lait, oui mais jusqu’à quand ?
Si chaque région de France est une terre de lait, les montagnes le sont également. Exit la belle image d’Epinal des vaches broutant en altitude, entretenant les pistes de ski des vacanciers. Pyrénées, Massif Central, Vosges… les territoires d’altitude doivent une large part de leur dynamisme à l’élevage – dont l’élevage laitier – qui assure un dynamisme économique, social et environnemental, qu’il soit produit en zone AOP ou non. Mais ces territoires subissent aujourd’hui de plein fouet ce qu’on appelle la déprise : l’élevage en montagne a des coûts de production supérieurs, les élevages isolés s’arrêtent, les villages se désertent, l’activité économique s’éteint, et ce de manière irrémédiable.
La filière laitière de montagne connaît depuis plusieurs années une déprise inquiétante, que la crise sanitaire liée au Covid-19 est venue accélérer. Le CNIEL – l’interprofession regroupant l’ensemble des acteurs de la filière – sonnait l’alerte il y a 2 ans. Depuis les pouvoirs publics se sont saisis de cet enjeu de désertification des territoires et ont lancé une mission d’information parlementaire sur la production laitière « hors AOP » en zone de montagne.
La filière laitière enmontagne : un enjeu majeur d’aménagement du territoire français
« Chaque année, sur nos 7 massifs, il y a de moins en moins d’exploitations agricoles et de lait de montagne produit», déplore Jean Pierre Vigier l’initiateur et co-rapporteur de la mission d’information parlementaire sur la production laitière « hors AOP » en zone de montagne, lancée en mars 2021 après plusieurs années de mobilisation du Cniel et dont les conclusions ont été présentées à Clermont-Ferrand.
Surcoûts de production et de collecte, manque d’attractivité des métiers, insuffisante valorisation du lait « hors AOP », qui représente deux tiers de la production : ces handicaps majeurs menacent la pérennité d’une activité à l’origine de près de 65 000 emplois directs et indirects, indispensables au maintien de la vitalité économique de ces territoires pour l’essentiel ruraux. « Ce qui caractérise la filière laitière de montagne, c’est son apport à la dynamique rurale », a ainsi insisté Michel Lacoste, éleveur laitier dans le Cantal et président du Cnaol (Conseil national des appellations d’origine laitières). Prendre sa défense, c’est donc permettre de « garder un juste équilibre territorial » en France, a renchéri J.-P. Vigier.
C’est aussi œuvrer à la conservation de paysages ouverts en montagne, ainsi qu’au maintien de la « biodiversité » et de « l’accès à l’eau », a rappelé Stéphane Joandel, agriculteur dans la Loire, président de la section laitière Auvergne Rhône-Alpes et vice-président de la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait). Autant de services écosystémiques rendus par l’élevage de montagne qui devraient être valorisés comme tels et qui pourtant ne le sont pas. « Si on perd nos [produits laitiers] conventionnels en zone de montagne, on peut mettre en danger nos AOP, c’est un vrai risque », a insisté le producteur. « Il faut donc qu’on tire notre conventionnel [vers le haut] pour équilibrer les charges ».
Télésiège du Morclan, vallée d’Abondance
Retrouver une compétitivité pour la filière laitière de montagne
Parmi les 3 grands axes d’action identifiés par la mission parlementaire améliorer la compétitivité de la filière est apparu comme essentiel.
Selon Damien Lacombe, président du collège Coopératives Laitières, la « forte augmentation » en quelques années « du nombre de règles » qui s’imposent à la filière laitière a surtout impacté la zone de montagne, en engendrant « des coûts et des investissements supplémentaires plus élevés qu’en plaine ». Le surcoût est de « plus de 100 euros la tonne pour la production » et de « 10-15 euros pour la collecte », a calculé J.-P. Vigier. De même, « les grands groupes qui s’installent ou modernisent leur outil de travail » doivent consentir des investissements plus élevés, notamment « au niveau des bâtiments ».
Idem pour la logistique en aval : « pour aller distribuer chez mes clients, qui de plus en plus veulent des livraisons tous les jours de la semaine, là aussi mes coûts sont supérieurs », a témoigné Didier Thuaire, dirigeant d’une PME familiale auvergnate. Dans ces conditions, a résumé J.-P. Vigier, « la concurrence avec la plaine est impossible ».
Travailler un cadre réglementaire et fiscal adapté, un enjeu de cadre collectif pour la filière
Adopter un cadre réglementaire et fiscal spécifiquement dédié aux territoires de montagne, à l’instar des collectivités d’outre-mer et de la Corse, est donc une priorité pour rétablir l’équité territoriale. « Dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), les artisans, commerçants, professions libérales qui s’installent sont exonérés de charges sociales ou fiscales », a rappelé le co-rapporteur:« pourquoi ne pas mettre en place ce dispositif sur les zones de montagne pour baisser le surcoût lié à la collecte, à la transformation et à la production du lait ? »
De même, il importe dans cette zone de cibler les aides publiques à l’investissement agricole et industriel par site, et non par entreprise. Les règles européennes relatives aux aides dites « de minimis » ne permettant pas d’investir à hauteur des besoins sur ces territoires, J.-P. Vigier a appelé les pouvoirs publics à « regarder comment faire évoluer ces règles, de telle sorte que les grands groupes industriels puissent continuer à investir en zone de montagne ».
Autre mesure attendue : publier rapidement le décret permettant l’application de l’article 61 de la loi dite « Montagne II » relatif à l’exonération de la taxe pour les véhicules utilisés lors de la collecte de lait en montagne ou, à défaut, mettre en œuvre un dispositif équivalent d’aide à la collecte, éventuellement inspiré de celui existant dans le Sud-Tyrol.
Une chose est sûre : « il y a plein de dispositifs qui s’ouvrent à nous », a observé J.-M. Javelle. « On ne demande pas un soutien massif mais un soutien équilibré à notre activité ». Sans cela, « il y aura une accélération du délitement de l’agriculture de montagne. »
Renforcer l’attractivité des métiers du lait de montagne
Sur ce volet, « ilfaut vraiment faire des efforts et avoir une stratégie », a insisté J.-P. Vigier, que ce soit « au niveau des transports, de la couverture numérique, ou pour aider le/la conjoint.e à trouver du travail ». Valoriser les formations dispensées par les écoles nationales d’industries laitières (ENIL) est également nécessaire, et « peut-être à terme faudra-t-il augmenter le nombre de places dans ces écoles », afin de répondre à la demande croissante des entreprises et à l’afflux de candidatures.
Une autre piste est de favoriserl’installation et la transmission par le rétablissement d’un Observatoire national de l’installation et de la transmission (ONIT), ainsi que par la création d’un guichet unique, qui permettrait une meilleure coordination des porteurs de projets.
Si l’on veut réussir un projet de cession de ferme, il paraît également important de « ne pas vouloir faire le projet du jeune » à sa place,a souligné Dominique Barrau, producteur de lait en Aveyron et président de l’association Horizon Montagne. Ce projet revêt souvent un aspect social fort : « si l’onn’est pas capable de revoir nos modes de productions et de travail pour faire en sorte que ce soit acceptable pour les jeunes générations, on aura du mal », a témoigné D. Lacombe.
Reste que « le nerf de la guerre, c’estla rémunération de son travail », a insisté une productrice de lait en Haute-Loire, membre de l’association Mont Lait, lors de la session de questions-réponses à l’issue de la table ronde. « En Haute-Loire on n’a pas d’AOP, donc si demain on veut que des jeunes s’installent et fassent vivre ce territoire », il faut proposer aux éleveurs « un prix qui soit plus rémunérateur » que le prix actuel, identique à celui du lait de plaine « plus facile à produire ».
La filière laitière de montagne représente près de 65 000 emplois directs et indirects, indispensables au maintien de la vitalité économique de ces territoires pour l’essentiel ruraux.
Mieux valoriser les produits laitiers de montagne : des pistes pour les acteurs économiques
« Il n’est pas acceptable que le lait classique soit payé 330-340 € la tonne comme du lait de plaine », alors que « ce n’est pas le même modèle économique », a défendu J.-P. Vigier. Sur les 3 milliards de litres de lait de montagne collectés en France, 2 milliards de litres ne relèvent pas en effet d’une AOP et donc ne bénéficient pas de différenciation au sein de la filière conventionnelle, malgré la qualité spécifique de ce lait et la richesse d’un modèle d’exploitation extensive qui préserve son environnement. En d’autres termes, selon le député de Haute-Loire, le lait d’altitude « n’est pas valorisé à sa juste valeur ». Il semble nécessaire aujourd’hui d’aller plus loin pour retrouver une compétitivité avec le lait de plaine, en associant étroitement les acteurs privés du secteur. « Ce qui fera la force de la filière c’est que l’on joue collectif », a martelé J.-P. Vigier. La valorisation des produits laitiers de montagne n’aura un réel impact que « si vous communiquez auprès du grand public au niveau national » pour expliquer « à quoi correspond la qualité spécifique du lait de montagne » et des produits qui en sont issus, avec leur haut degré de respect de l’environnement et du bien-être animal. « Au bout du bout, c’est le consommateur qui décide » s’il veut payer plus cher, a rappelé J.-M. Javelle. Il faut donc le sensibiliser.
Quelle que soit la solution retenue, pour les acteurs économiques la mise en place d’une marque ombrelle permettrait de mieux valoriser les produits laitiers d’altitude et d’imaginer « exporter l’excellence montagne », pour reprendre une formule de S. Joandel, sans opposer forcément « un système AOP et un système conventionnel ».
L’expérience de la marque « Mont Lait », qui rassemble les producteurs laitiers du Massif central, illustre qu’il est possible de porter jusqu’à l’export des produits de montagne tout en garantissant la juste rémunération des éleveurs et le maintien en altitude des entreprises de collecte, via une répartition adaptée de la valeur ajoutée. « Mont Lait a essayé de montrer qu’une autre équation était possible, sans certification pour le moment », a témoigné D. Barrau.
M. Lacoste témoigne sur ce qui fait la réussite des appellations d’origine protégée « c’est un produit spécifique, un territoire délimité et collectif », mais aussi la « diversité de réponses » que permet la « diversité d’opérateurs : des grands groupes, des PME, des producteurs fermiers ». Fortement impliqué dans le groupe de travail, il renchérit : « Dans la montagne demain, je ne crois pas qu’on réussira avec un seul modèle », le tout est donc de « jouer sur la complémentarité entre les acteurs » et « d’avoir une base commune sur la définition du cahier des charges, sur quelques modes de fonctionnement, sur la rémunération du producteur », avant de conclure « on se doit vis-à-vis de la jeune génération d’essayer quelque chose. »
13 propositions sont désormais sur la table, qui attendent d’être mises en place sur le terrain dans les meilleurs délais. Le Cnielentend travailler activement sur les propositions « collectives » aux côtés des acteurs économiques, des co-rapporteurs de l’ANEM, des élus et du Gouvernement pour que les montagne restent des terres de lait.
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Conférence organisée par le Cniel à l’occasion du Sommet de l’Elevage 2021 en présence du co-rapporteur de la mission Jean-Pierre Vigier, de Damien Lacombe, vice-président du Cniel, de Jean-Michel Javelle, président du CRIEL AMC, de Didier Thuaire, directeur de la société fromagère du Livradois, de Dominique Barrau, président de l’association des producteurs de lait de montagne, de Stéphane Joandel, éleveur laitier FRSEA AURA et de Michel Lacoste, président du Cnaol.