Direction Renneville, dans l’Eure (27), où Thierry Bertot nous accueille sur sa ferme. Cet éleveur de 58 ans a repris la ferme de ses parents à leur départ en retraite, il y a une vingtaine d’années. Avec son frère Yann et une salariée à mi-temps, il élève aujourd’hui un troupeau de 88 vaches laitières Prim’holstein et cultive 164 hectares.
Comme 50% des producteurs de lait à ce jour, il s’est prêté à l’évaluation du bien-être de ses animaux grâce à l’outil de diagnostic BoviWell. Une démarche qui vient appuyer des préoccupations, comme le souligne Thierry, déjà bien ancrées dans les pratiques quotidiennes des éleveurs car, au-delà de l’intérêt économique qu’ils ont à maintenir leurs vaches en bonne santé, « les éleveurs choisissent ce métier par passion et ont évidemment le bien-être des animaux à cœur ! » L’évaluation BoviWell leur permet alors d’identifier ce qu’ils font déjà de bien et d’éventuels points d’amélioration.
Objectif 2025 : 100% des éleveurs laitiers accompagnés sur le sujet du bien-être animal
Inscrite dans la nouvelle version de la Charte des Bonnes Pratiques d’Élevage depuis 2022, la démarche BoviWell évalue le bien-être des troupeaux selon des indicateurs définis par des professionnels de l’élevage (techniciens, vétérinaires, conseillers en élevage). Avec deux objectifs : d’une part, aider les éleveurs à faire évoluer leurs pratiques dans une logique de progrès de l’élevage, et, d’autre part, pouvoir informer de façon concrète et fiable les consommateurs sur la réalité de l’élevage français. L’interprofession du bétail et des viandes (Interbev), utilise cette même démarche BoviWell pour évaluer le bien-être des « troupeaux viande ». Un diagnostic du bien-être animal à grande échelle, donc, auquel le Cniel souhaite soumettre l’ensemble des 46 000 fermes laitières françaises d’ici 2025.
C’est François Toch, conseiller technique chez Sodiaal depuis 2006, qui mène l’évaluation du troupeau Bertot. François précise : « Nous avons commencé le déploiement de BoviWell en 2020, auprès des fermes volontaires. Aujourd’hui, 30% des éleveurs de la coopérative ont été évalués, et nous visons les 100% d’ici 2025 ». Comme tous les conseillers qui réalisent des évaluations, François a suivi une formation d’une journée pour pouvoir effectuer le diagnostic bien-être animal dans les 180 fermes dont il s’occupe, entre la Normandie et l’Eure-et-Loir.
L’évaluation du bien-être animal : seize indicateurs
Place au diagnostic. Celui-ci s’effectue en deux temps : après un échange avec Thierry sur les enjeux de la démarche François procède à un examen « terrain », à l’intérieur du bâtiment. Équipé d’une tablette, il saisit directement ses observations et les informations données par l’éleveur sur un outil Informatique, et ce tout au long de l’évaluation. En tout, 16 indicateurs – identiques au niveau national – sont analysés, qui portent à la fois sur les animaux et leur milieu de vie.
Prise en charge de la douleur des veaux lors de l’ébourgeonnage (c’est-à-dire enlever le bourgeon de la future corne), mortalité des veaux et des vaches, … Thierry répond d’abord à quelques questions posées par François, visant à appréhender le traitement des animaux sur sa ferme.
Vient ensuite le moment de se rendre dans le bâtiment, pour l’évaluation sur site à proprement parler. Dans le bâtiment – « construit en 1997 pour que tous les animaux puissent être sous le même toit », précise Thierry.
Puis il parcourt l’allée centrale afin de vérifier la propreté, la luminosité ou encore l’aération de l’étable. « Je regarde par exemple s’il y a de la moisissure sur la charpente, ce qui indiquerait une mauvaise ventilation », détaille François. Le conseiller technique mesure d’abord la totalité du bâtiment, afin de s’assurer que certaines normes dimensionnelles sont bien respectées. Chaque vache doit en effet disposer de 3 m2 et les couloirs doivent faire 3 m de large au minimum – chez Thierry, ils en font 4,50.
Enfin, le diagnostic est complété par une observation des vaches. « Le diagnostic est réalisé sur un échantillon aléatoire de vaches, souvent le matin après la traite, explique François. C’est le logiciel qui nous dit combien de vaches observer ». Le conseiller repère les éventuelles maigreurs, les vaches sales, les éventuelles boiteries ou blessures et étudie leur comportement dans la relation aux humains. Pour cela, il passe à une soixantaine de centimètres d’elles et note si certaines reculent, ce qui signale une peur potentielle de l’homme. Pour Thierry, c’est presque un sans-faute : sur la trentaine de vaches observées, une seule a eu un mouvement de recul au passage de François. Le nombre, la taille et la propreté des abreuvoirs du bâtiment sont des critères complémentaires observés car, comme le précise Thierry, « une bonne hydratation est extrêmement importante pour la santé comme pour la productivité des animaux ».
Une démarche de progrès
Une fois l’évaluation de tous les indicateurs terminée, le logiciel calcule le score « bien-être animal » du troupeau, à partir des données saisies par le conseiller. Ce score de 1 à 100 se présente sous la forme d’une échelle de quatre couleurs, allant du rouge, « non classé », au vert, « excellent », en passant par le jaune, « progression » et le bleu, « supérieur ».
L’élevage de Thierry se situe dans la catégorie « supérieur » : un bon diagnostic, donc, présentant toutefois des marges de progrès sur certains points, comme la mortalité des vaches. L’éleveur connaît bien ce problème : le béton de son étable était trop lisse et provoquait des glissades accidentelles, il a depuis fait le choix de scarifier le sol pour diminuer les risques de chute.
« L’évaluation BoviWell se conçoit vraiment comme une démarche d’amélioration des pratiques d’élevage », souligne Nadine Ballot, Chef de Service Élevage et Environnement au Cniel. « Il n’y a pas de sanctions. L’objectif est de pointer le positif dans les pratiques de l’éleveur et de co-construire avec lui un plan de progression ».
Des premiers bilans positifs
Les premières évaluations menées depuis 2020 ont permis à la filière d’effectuer un premier bilan : en décembre 2022, 73% des évaluées ont obtenu des résultats « excellents » ou « supérieurs », 24% sont en « progression » et 4% sont « non classées ». Parmi les principales pistes de progrès identifiées figurent la santé, et notamment les mammites (dossier sur lequel le Cniel et ses partenaires ont lancé un plan d’action dès 2015, qui a permis de mieux maîtriser cet indicateur), ou encore l’abreuvement, pour lequel un plan d’action collectif est en cours de réflexion.
« Les éleveurs dont les troupeaux laitiers ont été évalués jusqu’à présent nous ont fait de bons retours sur la démarche », se félicite Nadine Ballot. « Elle leur a permis de mettre le doigt sur des problèmes qu’ils n’avaient parfois pas identifiés, et dont la résolution peut in fine être bénéfique pour l’efficacité technico-économique de leur exploitation ».
Les résultats de chaque ferme alimentent une base de données nationale grâce à laquelle des démarches collectives de progrès peuvent être mises en place, à commencer par les éleveurs.
Le diagnostic est terminé. François a donné rendez-vous à Thierry pour un point de suivi, qui lui permettra d’évaluer ses progrès au fil du temps. Et de tendre vers une amélioration continue de ses pratiques d’éleveur favorable au bien-être de ses animaux. « Les éleveurs choisissent ce métier par passion et ont évidemment le bien-être des animaux à cœur. »