Attractivité et renouvellement des générations
Le vieillissement de la population agricole est une problématique majeure en France, mais aussi en Europe. « Seuls 11 % des agriculteurs européens ont moins de 40 ans, tandis que près de 60 % ont plus de 55 ans », explique ainsi Anne Sander, qui a participé élaboration du rapport du Parlement européen sur le renouvellement des générations dans les exploitations agricoles de l’UE de l’avenir en 2023. « C’est une réalité partagée par une majorité de pays de l’UE : la population agricole vieillit et le renouvellement générationnel est insuffisant. C’est un déséquilibre démographique qui pose un risque majeur pour l’avenir de l’agriculture en Europe. », résume l’ancienne députée européenne.
Le rapport propose donc plusieurs mesures pour attirer les jeunes vers les métiers agricoles : augmentation des aides financières pour encourager les installations, renforcement des programmes de formation et de reconversion, simplification des démarches administratives, etc. Pour assurer un avenir durable aux exploitations agricoles, le rapport souligne aussi l’importance de garantir des revenus stables et compétitifs pour les agriculteurs.
Si ce rapport a été adopté au Parlement européen, où il a fait l’unanimité, aucune mesure législative concrète n’a encore été adoptée pour remédier à cette situation. Il faut dire que de nombreux aspects de la question relèvent davantage des politiques et réglementations nationales, que de prérogatives communautaires. Ainsi, par exemple, le rapport insiste sur la nécessité d’adapter le cadre réglementaire pour faciliter l’accès à la terre et la transmission des exploitations agricoles, des questions très spécifiques à chaque État membre.
La question de l’attractivité est donc une question complexe, nécessitant une réponse à de multiples niveaux et qui doit embrasser un regard global sur la filière, insiste Anne Sander : « Il est urgent de rendre les métiers agricoles plus attractifs, celui des producteurs en particulier, mais aussi de l’ensemble des professions liées au lait : les métiers de la transformation et de la commercialisation par exemple. » Guillaume Blanchon L’inclusion économique : une stratégie gagnant-gagnant
Pour répondre aux défis de l’attractivité et du renouvellement des générations, la filière laitière peut orienter une partie de ses efforts vers l’inclusion économique. « Il s’agit de connecter les populations traditionnellement exclues du marché de l’emploi avec les opportunités professionnelles disponibles, détaille l’entrepreneur social Saïd Hammouche. Il s’agit principalement de personnes issues des territoires moins privilégiés, tant urbains que ruraux. »
Au-delà de réduire le chômage, appliquer ce principe à la filière laitière permettrait de faciliter le renouvellement des générations, mais aussi, d’enrichir la filière en attirant des hommes et des femmes issus de différents horizons, porteurs de nouvelles compétences et perspectives. Ces nouveaux entrants pourraient apporter une énergie et une innovation essentielles à la modernisation du secteur.
Pour déployer cette stratégie de manière efficace dans la filière laitière, le fondateur du Groupe Mozaïk et conseiller au CESE (Conseil économique, social et environnemental) conseille certaines adaptations : « Il faut adapter les outils de communication et de recrutement pour qu’ils soient accessibles et compréhensibles par les populations ciblées et préparer les candidats pour qu’ils puissent répondre aux besoins spécifiques de la filière. On peut imaginer des formes de mentorat pour aider les nouveaux talents à s’intégrer et progresser. »
Par ailleurs, les critères de recrutement traditionnels gagneraient également à être remis en question. « Il faut cesser de se focaliser uniquement sur les CV et commencer à regarder les aptitudes et les expériences de vie des candidats, insiste Saïd Hammouche. Les compétences comportementales et les soft skills doivent être valorisées. » En effet, les entreprises qui recrutent sur ces bases ont souvent davantage de succès et parviennent à diversifier leurs équipes.
Saïd Hammouche souligne également l’importance de mobiliser des organisations spécialisées pour accompagner les entreprises dans ces démarches inclusives. « Les petites entreprises, notamment, peuvent rencontrer des difficultés à gérer les processus de recrutement inclusifs tout en traitant leurs autres priorités quotidiennes. Il est donc crucial d’apporter un soutien en matière de pré-qualification et de recommandations. »
Au niveau de la filière, la collaboration entre le Cniel et des structures comme Mozaïk RH peut servir de modèle. « En travaillant ensemble, nous pouvons développer des programmes qui mettent en valeur les métiers de la filière laitière et attirent des talents diversifiés. Cette approche intégrée permettra de créer un environnement plus inclusif et dynamique, bénéfique pour l’ensemble de la filière, » conclut le fondateur des sommets de l’inclusion économique. Guillaume Blanchon Le bien-être animal : répondre à une préoccupation croissante des consommateurs
« Le bien-être animal est une question qui prend de plus en plus d’importance, tant pour les consommateurs que pour les professionnels du secteur. Entre 90 et 95 % des Français estiment qu’il est nécessaire d’améliorer le bien-être des animaux d’élevage et souhaitent plus d’informations sur leurs conditions de vie. » Le constat est dressé par Louis Schweitzer, président de la Fondation Droit Animal, Éthique et Sciences (LFDA). Pour répondre à ces attentes, la filière laitière doit s’engager dans une démarche de transparence et de progrès continus, une démarche qui pourrait s’appuyer sur une étiquette « Bien-être animal », garantissant que les produits achetés respectent des standards élevés de bien-être animal. Selon l’ancien Haut-fonctionnaire : « une telle initiative permettrait de valoriser les efforts des éleveurs et de répondre à la demande croissante des consommateurs pour des produits éthiques. »
Pour ce faire, la traçabilité et la transparence sont essentielles, avec un suivi de la naissance à la mort des animaux, impliquant des systèmes robustes de traçabilité qui garantissent que les conditions de bien-être animal sont respectées à chaque étape. À l’autre bout de la chaîne, il est crucial d’informer les consommateurs sur ces pratiques d’élevage, en utilisant des labels et des certifications clairs et fiables. « L’amélioration des conditions d’élevage passe par la promotion des pratiques offrant aux animaux plus d’espace et d’accès au plein air, notamment le pâturage, explique Louis Schweitzer, pâturage déjà pratiqué par environ 80 % des élevages laitiers en France ! ». Il est également important de former les éleveurs, notamment aux pratiques de manipulation douces et respectueuses.
Dans cette dynamique, la recherche, l’innovation et la collaboration jouent un rôle clé. Par exemple, travailler en partenariat avec des ONG et des associations de protection animale peut aider à développer et mettre en œuvre des standards ambitieux de bien-être animal. « Nous n’avons jamais travaillé avec une organisation professionnelle ou une organisation interprofessionnelle. Mon espoir est que le Cniel réalise dans ce domaine-là une première ! », s’enthousiasme le président de la LFDA.
Mais comment, aujourd’hui valoriser ces qualités ? Par l’étiquetage et le prix. Les consommateurs sont prêts à payer plus pour des produits dont le bien-être animal est garanti, justifiant ainsi un prix plus élevé et valorisant les efforts des éleveurs. Intégrer le bien-être animal dans une stratégie globale de compétitivité durable est essentiel pour différencier les produits français des produits importés à bas coût. « Pour le moment, la bonne façon de répondre au bien-être animal est de valoriser l’effort supplémentaire dans le prix payé par le consommateur. »
Enfin, l’amélioration du bien-être animal a un impact positif sur l’attractivité des métiers de la filière laitière. Louis Schweitzer note ainsi que « toutes les études montrent qu’il y a un lien entre le bien-être animal et la satisfaction au travail des éleveurs et des salariés. Des pratiques respectueuses des animaux rendent le travail plus valorisant et attractif. » En veillant au bien-être animal, la filière laitière répond donc aux attentes sociétales tout en renforçant l’attractivité de ses métiers. Cet engagement, au-delà de répondre à une exigence éthique, doit être considéré comme un levier de compétitivité et de pérennité de la filière. Guillaume Blanchon La recherche au service de la durabilité des élevages
Face aux défis climatiques et aux attentes sociétales croissantes en matière de durabilité, adopter des pratiques agricoles respectueuses de l’environnement n’est plus une option, mais une nécessité pour garantir la pérennité du secteur. Le Cniel œuvre donc, avec ses partenaires, pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et améliorer la durabilité des pratiques agricoles, sans négliger de valoriser le rôle essentiel de l’élevage dans un modèle d’agriculture durable.
Les ruminants, notamment les vaches laitières, sont connus pour produire du méthane, un puissant gaz à effet de serre, lors de la digestion. « Nous estimons qu’une réduction de 30 % des émissions de méthane entérique est possible dans les 15 à 20 prochaines années, estime Philippe Mauguin, président de l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement). Des recherches sont en cours pour réduire ces émissions grâce à la génétique, des modifications de l’alimentation animale, et à l’évolution de la conduite des troupeaux. » Des avancées cruciales pour rendre l’élevage plus durable.
L’amélioration des pratiques agricoles passe aussi par une gestion plus efficace des ressources naturelles et une réduction de l’impact environnemental des exploitations, nécessitant une intégration plus étroite entre les pratiques agricoles et les cycles naturels, selon le spécialiste : « Nous devons valoriser les ressources locales, réduire la dépendance aux intrants extérieurs et promouvoir des systèmes de polyculture-élevage. » Ces systèmes qui permettent de recycler les nutriments, de maintenir la fertilité des sols et de diversifier les sources de revenus pour les agriculteurs. La recherche et le développement jouent ici un rôle crucial dans l’identification et la promotion de ces pratiques durables.
Il est également primordial de souligner que, malgré les défis environnementaux, l’élevage reste une composante essentielle d’un modèle d’agriculture durable. Ses apports sont considérables, de la gestion des paysages, à la préservation de la biodiversité, en passant par la séquestration du carbone dans les prairies.
Enfin, les avancées scientifiques seules, ne sont pas suffisantes. Agriculteurs, chercheurs, décideurs politiques, consommateurs… « Il est crucial de travailler ensemble pour développer des politiques et des pratiques qui soutiennent une agriculture durable » estime le président de l’INRAE. C’est en adoptant ces approches collaboratives et en s’appuyant sur des solutions innovantes que la filière laitière peut jouer un rôle clé dans la transition vers une agriculture plus durable et résiliente.
Les défis posés à la filière laitière sont donc nombreux, mais les solutions existent. Attractivité, inclusion, bien-être animal, durabilité… Le Cniel développe des réponses en adoptant une démarche collective et proactive. C’est ainsi que l’interprofession construit, chaque jour, la pérennité de la filière, et garantit l’avenir des acteurs du lait de demain. Cet article se base sur une table ronde organisée à l’occasion de l’Assemblée générale du Cniel qui s’est tenue à la Maison du Lait, le 26 juin 2024. Ont participé à cette table ronde :
- Anne Sander, Conseillère régionale de la Région Grand Est, ancienne députée européenne ;
- Saïd Hammouche, Conseiller au CESE (Conseil économique, social et environnemental), fondateur du Groupe Mozaik ;
- Louis Schweitzer, Président de La Fondation Droit Animal, éthique et sciences (LFDA), ancien PDG du groupe Renault, ancien Haut-fonctionnaire ;
- Philippe Mauguin, Président-directeur général de l’Inrae (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement)
Leurs éclairages et expertises ont permis de décrypter la place centrale du Cniel comme acteur de la transformation durable de la filière laitière à l’occasion de son 50ème anniversaire.