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Avec Numagri, le Cniel construit le langage commun de l’agriculture en France

Pour l’agriculture et le secteur alimentaire, l’organisation des données est un enjeu majeur. Elle répond à plusieurs besoins, dont celui de la transparence, mais également l’optimisation des performances techniques obtenue à travers l’utilisation de la masse de données générées par les acteurs. En préalable, il est indispensable de construire le langage commun de l’agriculture en France. C’est la mission de Numagri, une association créée en 2020 et dont le Cniel est un des membres « fondateur ». Car le secteur laitier est bien conscient de l’importance de standardiser les données, c’est-à-dire, disposer de référentiels communs pour reporter les données de la filière afin d’en favoriser à terme la valorisation tout au long de la chaîne alimentaire. Entretien avec Samuel Bulot, éleveur laitier en bio et vice-président de Numagri, et Fanny Tenenhaus-Aziza, Docteur en biostatistique et data project manager au Cniel.
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En quoi la standardisation et la valorisation des données sont-elles un enjeu pour l’agriculture française, et la filière laitière en particulier ?
Samuel Bulot – La question des data est en train de prendre de l’ampleur un peu partout, et la profession agricole a compris que si elle ne prenait pas les choses en main, d’autres le feraient à sa place. Il y a donc un enjeu de souveraineté d’abord.
Ensuite, il y a un enjeu évident de transparence envers le consommateur, auquel il s’agit de donner un accès aux conditions de production des aliments. Un enjeu aussi de sécurité sanitaire pour la partie amont de la chaîne alimentaire, qu’il s’agisse de la production ou de la transformation. Pour la filière laitière, mieux gérer les data doit donc avant tout permettre de renforcer sa crédibilité.

Il y a également un enjeu de performance économique : du producteur au consommateur, on a besoin que l’information puisse circuler, que la donnée soit transmise de façon fluide et puisse être croisée avec d’autres pour générer de la valeur tout au long de la chaîne. Il s’agit aussi de se simplifier la vie : mes collègues producteurs de lait fondent beaucoup d’espoirs sur la standardisation des données, qui est supposée alléger notre charge administrative, comme ne pas re-saisir informatiquement des informations déjà saisies.
Fanny Tenenhaus-Aziza – Pour la filière laitière, le fait de pouvoir croiser les données permet de faire des statistiques, d’identifier des tendances, ou des corrélations entre des pratiques et des résultats, d’optimiser des techniques pour améliorer les performances, économique et sanitaire mais aussi sociale et environnementale. Le tableau de bord des indicateurs France Terre de Lait est un bon exemple de valorisation des données !
Que ce soit à l’échelle de l’élevage, de l’usine ou de la filière, énormément de données sont générées et beaucoup sont déjà valorisées, étant informatisées. Mais cela manque encore d’un cadre commun, d’une stratégie collective.
Qu’est-ce qui a pu freiner jusque-là la valorisation des données dans le secteur ?
F. T.-A. – Beaucoup d’acteurs craignent de partager les données qu’ils génèrent avec d’autres utilisateurs, de peur que ces derniers en profitent en les vendant ou en les utilisant sans leur consentement. On entend partout que la data c’est de l’or, les gens se méfient par conséquent de perdre leur trésor si les données circulent. Il y a donc d’abord un travail de démystification et de pédagogie à faire pour lever ces craintes.
S. B. – Avant de rencontrer les autres collèges du Cniel réunis au sein de Numagri, je pensais que ces craintes étaient spécifiques à nous agriculteurs, qui aimons les choses concrètes et nous méfions de ce que nous ne pouvons pas toucher, comme la data. Mais je me suis rendu compte qu’il y avait de la défiance à tous les niveaux de la filière, et nous avons vraiment besoin de rassurer les gens.
F. T.-A. – Une fois qu’on a rassuré sur le fait que des outils seront mis en place pour gérer le consentement à l’utilisation des données de chacun, le grand défi est de réussir à les utiliser : de les croiser, de les faire parler et de les transformer en usages. Mais cela n’est possible que si ces données sont bien rangées et ont le même sens pour tous. Or, pour le moment, d’une filière à l’autre, d’un éditeur de logiciel à l’autre, on n’a souvent pas encore la même façon de saisir l’information, ce qui bloque la circulation et le croisement des données. C’est tout l’objet du travail de standardisation, qui est un préalable à la valorisation de la data : retranscrire ces données dans un langage commun, les cataloguer dans un dictionnaire libre d’accès à tous, pour les rendre interopérables.
En quoi l’association Numagri a-t-elle vocation à faciliter ce chantier de standardisation ?
S. B.Numagri s’est structurée sous forme d’association en juin 2020, à l’initiative du Cniel et des Chambres d’agriculture, de la FNSEA, des Jeunes agriculteurs, ainsi que d’autres interprofessions des filières végétales et des opérateurs publics et privés, pour encadrer ce chantier que nous savions fondamental.
F. T.-A.Toute la mission de Numagri est d’organiser les conditions de la standardisation des données numériques agricoles en développant des cas d’usage qui répondent aux attentes de l’agriculture, des filières et des consommateurs, et en les coordonnant entre eux pour éviter les doublons, valoriser les interactions et intégrer les standards existants, comme les informations répertoriées sur un bon de commande par exemple. L’association est un vrai lieu de dialogue et de concertation pour les acteurs du secteur.

Deux partenaires nous accompagnent dans cette démarche, liés à Numagri à travers des contrats d’objectifs et de moyens : Agdatahub, en quelque sorte un institut technique de la data qui opère des plateformes de consentements et d’échanges de données et a pour mission d’identifier les cas d’usage et d’animer l’écosystème et GS1 France, un opérateur de standardisation connu pour concevoir les codes-barres, qui s’occupe du volet technique de la standardisation ainsi que de son internationalisation.

Fanny Tenenhaus-Aziza,

Docteur en biostatistique et Data project manager au Cniel



« Toute la mission de Numagri est d’organiser les conditions de la standardisation des données numériques agricoles en développant des cas d’usage qui répondent aux attentes de l’agriculture, des filières et des consommateurs. »

Quelle est l’implication du Cniel au sein de l’association Numagri ?
S. B.Le Cniel est moteur et prescripteur car l’enjeu, pour l’interprofession, est de faire valoir tout le travail déjà accompli pour doter la filière laitière de référentiels communs. Nous avons ainsi été les premiers à initier un cas d’usage au sein de Numagri, celui sur la standardisation des données d’alimentation du troupeau bovin laitier. Ce sujet a fait consensus parce qu’il était représentatif de notre filière, qu’il concernait toute la chaîne laitière et que, pour les éleveurs, il était à la base du travail de production de lait.
Où en êtes-vous de vos travaux ?
F. T.-A. – Comme la filière laitière, à travers le Cniel, est la première à s’être lancée, nous sommes les plus avancés à ce jour. Nous venons d’achever, en partenariat avec Agdatahub, la première étape du processus qui consiste à formaliser notre cas d’usage, grâce à des ateliers consacrés à l’identification des acteurs et des données concernées. Désormais nous disposons d’un livrable d’une trentaine de pages qui cadre le travail à venir. Nous y avons notamment listé les données d’alimentation animale que nous pensons utile de standardiser.
S. B. – D’autres cas d’usage sont en cours de développement au sein de Numagri, sur les machines agricoles, la logistique céréalière ou encore la traçabilité du soja français, et des interactions sont d’ores et déjà en train d’apparaître entre les acteurs agricoles et les filières. Au fur et à mesure où chaque groupe de travail avancera, nous en identifierons de plus en plus. C’est cela qui est intéressant dans la démarche de standardisation : c’est un effort commun au service du collectif, qui ne peut que renforcer la cohésion et la crédibilité de la filière.

Samuel Bulot,

Eleveur laitier et vice-président de Numagri



« C’est cela qui est intéressant dans la démarche de standardisation : c’est un effort commun au service du collectif, qui ne peut que renforcer la cohésion et la crédibilité de la filière. »

Quelles sont les prochaines étapes ?
S. B.Nous organisons le 27 janvier une réunion d’information générale, à laquelle nous avons convié tous les acteurs identifiés lors de nos ateliers sur l’alimentation des troupeaux bovins laitiers (éleveurs, fabricants d’aliments, entreprises de négoce, coopératives laitières, auditeurs qualité, professionnels de la grande distribution et de la restauration collective, éditeurs de logiciel…). Beaucoup ont entendu parler de Numagri sans savoir en quoi cela consiste exactement. Cette réunion est ouverte à tous*. Tout l’enjeu est d’expliquer aux participants ce qu’on veut faire, étape par étape, de lever les crispations éventuelles et de les impliquer dans notre démarche pour réunir le plus de matière grise possible autour de la table.
F. T.-A. – Nous allons aussi leur présenter la deuxième phase du chantier, celle de standardisation proprement dite, qui sera lancée le 10 février et où nous serons accompagnés par GS1 France. Concrètement, il s’agit de réunir des groupes de travail avec des acteurs impliqués sur le sujet de l’alimentation animale, y compris ceux extérieurs à la filière laitière, pour décider d’un commun accord de ce qu’on veut mettre derrière le mot « bio », « foin », « huile de palme » ou « pâturage », sans chercher à réinventer la roue mais en se basant sur les référentiels existants et en co-construisant les standards qui manquent.
S. B. – Là on entre dans l’inconnu. Cette démarche est très nouvelle pour le monde agricole, donc nous progressons ensemble pas à pas.
F. T.-A. – Le défi sera sans doute de trouver un consensus autour des données de pâturage, de fourrage et d’alimentation animale autoproduite par les fermes, car chacun en parle à sa manière. Comment quantifier, par exemple, l’herbe consommée par les troupeaux au pâturage ? Plusieurs méthodologies existent.
S. B. – L’important est que le plus grand nombre d’acteurs y participe, car cette démarche est d’intérêt général. On espère arriver à un dictionnaire commun au premier semestre 2023.
À quand la valorisation de ces données standardisées ?
F. T.-A. – Quand on aura défini les standards sur l’alimentation animale, la phase d’après sera de les déployer en partenariat avec Agdatahub, c’est-à-dire communiquer dessus et les faire intégrer par tous les acteurs concernés, identifiés dans la filière et au-delà, aux niveaux européen et international.

Les usages s’en suivront naturellement. Le premier sera sans doute la transparence vers le consommateur, car il sera alors possible d’associer des informations sur les conditions de production aux aliments pour animaux. Le couplage des données d’alimentation animale à d’autres données (qualité du lait, bien-être animal) est aussi cité comme besoin par les professionnels.
S. B. – Il faudra aussi nous coordonner avec le projet Num-alim, qui rassemble, entre autres, la partie aval de la filière, l’agro-alimentaire et la distribution, et propose notamment de créer une base de données produits appelée UniversAlim.
F. T.-A. – L’étape encore d’après, ce sera de valoriser ces données interopérables via des services ou applications, qui puissent venir en support aux engagements pris dans France Terre de Lait, la démarche de responsabilité sociétale de la filière laitière.
S. B. –D’ici là, on a encore du pain sur la planche, mais quand les données sont bien organisées et saisies de manière harmonisée, les choses peuvent aller vite !

*ndlr : pour vous inscrire à la prochaine réunion le 25 mars 2022, contactez ftenenhaus@cniel.com.

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Date de publication: 19/01/2022

Date de modification: 14/04/2022

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